1/6/1915
Les pauvres honteux [De schande van de armoder - The shame of poverty]
(In: L'Echo de la Presse internationale, 1/6/1915)
Il faut beaucoup de ressources pour soulager la misère, adoucir la douleur et sécher des larmes, et malgré tous les nombreux milliers de francs donnés si généreusement chaque jour par les bonnes fées de la charité, il y a encore énormément de misère qui n'a pu être soulagée, beaucoup de faim qui n'est pas apaisée.
Nous le savons, on a beaucoup donné et on donne encore beaucoup à ceux qui ne méritent aucun appui; mais il n'est pas toujours possible de séparer le vraie du bon grain et tout bien considéré, il est préférable de donner à dix indignes que de renvoyer un vrai indigent sans consolation.
Il y en a d'autres qui n'osent tendre la main, dont on ne croirait pas à leur misère, et cependant le clair regard a disparu de leurs yeux, le rire si franc et si joyeux s'est éloigné de leurs lèvres.
Oh! Ils accepteraient volontiers un secours... si on leur présentaient discrètement; mais demander du secours? Ils ne sauraient même pas comment s'y prendre. Et puis, qui les croirait?
Voici un homme qui a passé la plus grande partie de sa vie dans la même usine ou bureau; vingt, trente année peut-être; on y a fêté son jubilé et il fut même décoré pour «bon et loyaux services». Mais l'usine a été fermée; le patron est à l'étranger, et depuis lors cet homme n'a plus gagné un sou. Il a un fils au front, auquel il a envoyé de temps en temps une petite somme, aussi longtemps qu'il a eu de ses nouvelles, mais il y a bien longtemps; il a encore une fille dont le mari a péri dans la bataille et qui, avec ses enfants, est venue chercher un abri chez père et mère.
La caisse de chômages et syndicats, si elle n'est totalement supprimée, et les soldes de milieu du fils et du beau-fils rapportent trop peu pour pouvoir vivre et trop pour mourir. Et les petites épargnes ont depuis longtemps disparu...
Y-a-t 'il quelqu'un parmi nos lecteurs favorisés par la fortune, qui connait de ses personnes? Qu'il aille trouver cet affamé «honnête», qui n'ose tendre la main.
Voici encore une veuve avec des enfants; elle a dû fermer sa petite boutique; elle n'a plus reçu de nouvelles de son fils depuis la chute de Namur. La maison de mode et la tailleuse chez lesquelles ses filles travaillaient ne donnent plus que du travail intermittent et encore à salaires réduit, «prix de guerre»; encore trop peu pour vivre et trop pour mourir.
Et faire des dettes! Cette ancienne commerçante, dont les filles ont des blouses de soies! La mère ne le souffrirait pas.
Ah! Si vous connaissez de ces gens-là, secourez cette détresse, qui n'ose invoquer votre secours.
Si la charité est une vertu, la discrétion en est la sœur. La vraie charité laisse ignorer à la main gauche ce que donne la droite.
Beaucoup de misère s'adresse à nous, mais nos ressources sont limitées. Nous faisons un nouvel et chaleureux appel au bon cœur de nos lecteurs pour notre comité de charité, certains que notre appel sera entendu.