De Napoléon au Kaiser. L'enseignement de l'histoire [Vergelijking tussen Napoleon en de Duitse Keizer - Comparison between Napoleon and the German Kaiser]
(In: L'indépendance belge [London], 18/6/1915)
La date commémorative d'aujourd'hui permet quelques réflexions qui s'appliquent à la guerre actuelle.
En effet, en certains points de vue d'ordre social un parralèle peut être fait entre Napoléon et le Kaiser, toutes proportions relatives à la personnalité de ces deux hommes étant gardées.
Le premier naquit de la Révolution qui avait à se défendre.
Le second est né de la prétention autocratique qui veut s'imposer.
Quelles leçons utiles pour l'avenir, en faveur du bonheur des peuples, faut-il tirer de l'exemple de ces deux hommes?
C'est que, tous les deux, sont peut-on dire le "résultat" d'une "grande erreur" qui coûte beaucoup de souffrance et de sang aux hommes.
Napoléon, qui transforma selon ses besoins personnels les pouvoirs qu'il n'aurait dû employer que dans un but défensif (la défense de la France et des principes des droits de l'Homme), prit bientôt l'offensive et l'esprit conquérant le domina:
- C'était, ont dit ses admirateurs, pour vaincre le Monde et imposer les principes démocratiques de la Révolution française!...
Soit admettons! Mais c'était là, précisément, la grande erreur dont nous parlons ci-dessus: il fallait "défendre" et non pas vouloir "imposer".
C'est la même "grande erreur" que celle commise actuellement par le Kaiser et son entourage de petits hommes brutaux.
Elle est expliquée toute entière dans la sentence suivante:
- On ne saurait imposer aux peuples des civilisations, des principes ou des "Kulturs": cela est contraire aux lois naturelles invincibles, et qu'il n'y a pas lieu d'ailleurs, en droit, d'essayer de vaincre , car elles n'impliquent pas un mal...
Napoléon a voulu imposer sa volonté par la force militaire.
Le Kaiser veut faire de même.
Cela peut réussir superficiellement, mais de telles oeuvres abominables ne sont pas durables, ne peuvent pas être durables, et les peuples qui ont coopéré à faire triompher de telles oeuvres deviennent bientôt les premières victimes de leur erreur.
L'Allemagne même est un exemple de la vérité de cette opinion.
La fédération germanique a pu se produire et se fortifier par la persuasion, elle ne l'aurait pu par la force: les territoires allemands où la force a été employée, lors de leur annexion, constituent une faiblesse pour le pays, car ils restent des foyers de révolte.
Que prouve la "grande erreur" commise par Napoléon, dans un but démocratique, et reprise par le Kaiser, dans un but autocratique? Elle prouve que les rêves des conquérants, lesquels veulent imposer "leur" civilisation et "leurs" moeurs" sont des rêves qui aboutissent toujours à de grandes souffrances pour les peuples, et que ceux-ci, quand ils se prêtent à seconder les conquérants, sont les forgerons de leurs propres souffrances en créant aussi la souffrance des autres. Or, les peuples se laissent, aujourd'hui encore, aveugler.
Pour éviter les cataclysmes sanglants, les peuples ne devraient avoir qu'une préoccupation en formant leurs opinions d'ordre public: et cette préoccupation est faite toute entière de la question et de la réponse suivantes:
- Est-ce que mes principes et les opinions qui en dérivent ne sont pas opposés au libre développement de la liberté et des principes des hommes qui appartiennent à d'autres races et à côté desquels je vis?... Si mes principes sont dangereux pour la liberté de mes voisins, je les abandonne, car ils sont fatalement dangereux pour moi-même dans les conséquences qu'ils doivent avoir: ils doivent créer les conflits...
Les Napoléon et les Kaiser produisent beaucoup de souffrances et répandent beaucoup de sang. Ils ne produisent rien au point de vue des progrès de l'humanité.
C'est pourquoi les populations devraient avoir la haine de ces conquérants qui rapetissent l'humanité à un ring des boxeurs...
Camille Roussel